• -Double exécution capitale à Tréguier en 1842

    Double exécution capitale à Tréguier en 1842

    Le 12 juin 1841, sur l'ancienne route reliant Saint-Gonval à Plouguiel, au ruisseau du "Goas Mad", un crime fut perpétré, au niveau d'un petit pont rustique: le "Pont Douarn".

     

    Double exécution capitale à Tréguier en 1842

     

    Le samedi 12 juin 1841, Yves Pezron, âgé de soixante-huit ans, riche propriétaire et cultivateur de la commune de Penvénan, époux de Marie-Périnne Le Masson, se rendit à la foire de Tréguier; vers sept heures du soir, il se mit en route pour revenir chez lui, mais on l'attendit en vain à son domicile, et le lendemain matin, son cadavre fut trouvé par François l'Horset dans la petite rivière de Keralio, séparant la commune de Plouguiel de celle de Penvénan, près d'un petit pont nommé le "Pont de Terre".

     

    Double exécution capitale à Tréguier en 1842

     

    Le cadavre était "sur le dos, ayant les genoux plus élevés que la tête, laquelle était couverte d'herbes marécageuses qui semblaient placées de main d'homme... Les vêtements étaient déchirés et en désordre; les deux basques de la veste avaient été enlevées et coupées avec un instrument tranchant". 

    Cette macabre découverte est immédiatement portée à la connaissance du juge de paix du canton de Tréguier, Louis Le Saux du Mesguen.

    Dès 9h30, le magistrat et son greffier sont sur les lieux pour procéder aux premières constatations, accompagnés du Docteur Millier, de Tréguier. Le procès-verbal relève alors que de nombreuses traces de violences et des contusions qui semblaient avoir été produites par les clous de souliers ferrés, se faisaient remarquer à la tête et sur divers parties du corps. L'autopsie, immédiatement pratiquée, montre toutefois que "la mort n'était pas le résultat de ces violences, mais bien de l'asphyxie par submersion". Il est, par ailleurs, rapidement établi que "Pezron devait avoir sur lui, lorsqu'il quitta Tréguier, une somme de cinquante à soixante francs", mais qu'on ne retrouva ni cet argent, ni sa montre, ni son mouchoir".

    La conclusion, dans ces conditions, s'impose: "il était évident... que le malheureux avait péri d'un assassinat; après l'avoir volé et maltraité, on l'avait noyé dans la rivière".

    L'enquête judiciaire pour découvrir les auteurs de ce meurtre est rondement menée, et s'avère d'une déconcertante simplicité, tant est grande la maladresse du comportement et de l'alibi du principal d'entre-eux: les soupçons ne peuvent en effet manquer de se porter sur Jean Geffroy avec qui Pezron était revenu de Tréguier, aux dires de plusieurs témoins, et en compagnie duquel il avait du se trouver en passant au Pont de Terre. Ce cultivateur de vingt-trois ans, établi en la ferme de "Ker an Piquet", proche du lieu du crime, a d'ailleurs déjà contre lui, "une forte mauvaise réputation d'ivrogne, de débauché et de voleur".

    Le premier interrogatoire de Geffroy, réalisé à son domicile dans l'après-midi suivant le crime, par le juge de paix, est accablant: après avoir brièvement tenté de nier les faits, il doit rapidement céder aux indices qui s'accumulent contre lui, au cours de la perquisition, et qui deviennent autant de pièces à conviction: ses souliers encore humides, dans son armoire, une veste dont les deux manches sont mouillées jusqu'aux coudes, une chemise déchirée en deux endroits, et sept pièces de cinq francs, posée à part, sur le dessus d'une écuelle contenant de la monnaie. Deux semaines plus tard, on finira même par découvrir l'une des basques arrachées au costume de la victime, cachée sous le tas de fumier de la cour de la ferme que les journaliers agricoles s'employaient à retourner. 

    Devant tant d'évidences, Jean Geffroy s'effondre: il reconnaît que "c'est lui qui avait assassiné Pezron", tout en s'efforçant de reporter l'essentiel de la responsabilité de son acte sur Marie-Louise Le Bras, filandière ", elle aussi domiciliée dans les environs immédiats du fameux "Pont Douar". Comme bien souvent, plus aucune solidarité ne joue donc entre les deux complices alors même que la rumeur publique les considère comme unis de longue date par des "relations adultérines", et ce, en dépit des seize ans qui les séparent. De caractère fort et trempé, la femme ne manque pas  de protester violemment de son innocence, et conserve tout son sang-froid lors de la confrontation tragique immédiatement organisée devant le corps du défunt. Elle s'enferme alors dans une attitude de dénégation farouche de toute participation au crime. Geffroy, par contre, persiste à l'accuser et à s'accuser lui même; il ajoute qu'il avait été convenu entre eux, dans la maison de la femme Le Bras... ou il était entré avec Pezron, qu'elle irait les attendre au Pont de Terre, en s'y rendant à travers champs, et que là, ils lui prendraient son argent et lui ôteraient la vie pour s'assurer de son silence; qu'en effet elle s'y trouva rendue avant lui, et qu'ils consommèrent leur crime sur les neuf heures et demi du soir.

    Interrogé de nouveau six jours plus tard, cette fois par le juge d'instruction du tribunal de première instance de Lannion, Jean Geffroy fournit des détails encore plus précis sur son terrible acte, ce qui permet de confirmer qu'il s'agit, d'un meurtre aggravé par la préméditation: "la femme Le Bras", déclare t-il, l'avait rejoint près du Pont Douar; ils marchèrent ensemble en ce concertant à quelques pas en arrière de Pezron. Elle voulait qu'ils lui ôtassent la vie; lui résistait, disant qu'il consentait bien à le voler, mais non à le tuer. Cependant, près du pont, la femme Le Bras porta le premier coup à Pezron et le terrassa. Celui-ci s'étant relevé, chercha à se défendre; c'est alors que Geffroy se joignit à elle pour lui porter aussi des coups, et le renversa sur le sol. Ils le traînèrent ensuite encore vivant dans la rivière ou ils le plongèrent et le retinrent jusqu'à ce qu'il eût cessé de faire des mouvements. 

    Son forfait accompli, Geffroy s'éloigne alors, laissant la femme Le Bras seule près du cadavre, prétendant hypocritement n'avoir nullement pris part au vol qui parachève ce crime d'autant plus sordide que la victime n'avait guère de moyens de se défendre: Pezron, de quarante cinq ans plus âgé que son principal agresseur, était en effet, d'une faible complexion et ne se servait de son bras gauche qu'avec beaucoup de difficulté depuis une chute qu'il avait faite, l'année précédente, ce qui, au demeurant, ne semblait pas l'empêcher de s'enivrer tous les jours.

    Les assassins étant si facilement confondus, il ne reste plus qu'à tenter d'élucider comment le projet d'une action aussi ignominieuse avait pu germer dans l'esprit des deux protagonistes, en reconstituant avec minutie leur emploi du temps, durant la journée fatale:

    Depuis le matin, ils sont manifestement à la recherche de leur victime dans tout Tréguier, faisant preuve en l'occurrence d'un total manque de discrétion et d'une belle inconscience. Geffroy, notamment, suivait Pezron à la piste; sept ou huit fois, il se présenta chez sieur Jorand, dans l'auberge duquel Pezron descendait habituellement, et s'informa s'il n'y était pas. Cette insistance fut remarquée par la femme Jorand qui lui demanda ce qu'il voulait à Pezron, et Geffroy répondit qu'il désirait s'en retourner avec lui. Quant à la femme le Bras, elle parcourut la foire en compagnie de sa sœur, Marie-Jeanne, s'enquérant de sa future victime auprès de plusieurs personnes, au prétexte que Pezron lui devait de l'argent. A l'une d'entre elles qui manifeste quelque étonnement, Marie-Jeanne répond qu'à l'époque de la foire, les propriétaires doivent recevoir leur dû, ce qui lui vaut immédiatement un coup sur le bras, et une remarque acerbe de la part de sa sœur: "Pourquoi dis-tu les choses d'une manière si claire? Viens-t-en donc!".

    Quoi qu'il en soit, la traque finit par porter ses fruits. Vers sept heures, Pezron partit de Tréguier, et Geffroy qui s'était mis en route immédiatement après lui, le rejoignit au bourg de Plouguiel, dans le cabaret de Le Collen ou ils burent ensemble. Ils en sortirent bientôt, et Geffroy le conduisit dans un autre cabaret ou ils recommencèrent à boire. En ce moment, la femme Le Bras entra dans ce dernier cabaret, y acheta du sel et en sortit immédiatement. A huit heures, Pezron se remit en route, accompagné de Geffroy, de Jean-François Le Bail, beau-père de ce dernier, et d'Antoine L'Horset, cultivateur de 55 ans domicilié à Penvenan. Geffroy voulant, disait-il, causer en particulier avec Pezron, resta en arrière avec celui-ci; comme il marchait très lentement, L'Horset et Le Bail ne tardèrent pas à se trouver en avant, et Pezron leur ayant fait signe de continuer leur route, ils cessèrent bientôt de les apercevoir et se séparèrent. On connaît désormais la suite tragique des événements, non seulement pour la malheureuse victime, mais également pour ses assassins, aussi insensés que naïfs, que la justice des hommes fera rejoindre dans la mort moins de sept mois plus tard.

    Encadrés par les gendarmes Dubois et Riberault, les deux prévenus prennent la route de la  prison de Tréguier, ou ils passent la nuit. Le lendemain, de fort bonne heure, Marie-Louise Le Bras réussit à communiquer avec Yvonne Le Tourneur, sa cousine germaine, en compagnie de laquelle elle avait passé une partie de la matinée suivant le crime; elle la charge, bien imprudemment, d'aller supplier la femme Guillard, pour l'amour de Dieu, de ne parler à personne de la pièce de cinq franc (argent du meurtre!), qu'elle lui avait remise la veille, en paiement d'une dette ancienne.

    Jean Geffroy et Marie-Louise Le Bras furent condamnés à la peine de mort, le mercredi 13 octobre 1841 par la cour d'assise du palais de justice de Saint-Brieuc et ordonne que l'exécution aura lieu sur l'une des places publiques de la ville de Tréguier.

    La presse de l'époque narre leurs heures ultimes:

    M. de Garaby qui, depuis leur condamnation, les assistait régulièrement... et tâchait de les préparer, par les secours de la religion, à ce moment suprême, se présenta mardi matin devant eux, pour leur annoncer que tout espoir était perdu et qu'ils n'avaient plus à attendre des hommes. Les condamnés, préparés à cette triste fin, et touchés des paroles de leur confesseur, l'écoutèrent avec calme et résignation, et se disposèrent au départ qui devait avoir lieu le matin même.

    En effet, vers six heures et demie, une charrette (affectée aux convois militaires) reçut à la porte de la prison les deux condamnés, leur confesseur, et le nommé Joseph Le Barbu, condamné à dix ans de travaux forcés, et devant subir l'exposition publique, le lendemain, sur la place de Tréguier, une heure après.

    La voiture traînée par un cheval, conduit par un homme et escortée par cinq gendarmes, arriva de bonne heure à Lanvollon, où les patients furent descendus et présentés devant un bon feu. M. le maire de cette ville eut pour eux tous les égards que l'on doit au malheur; il leur fit apporter de quoi manger et les servit lui-même. La femme seule refusa de prendre part à ces mets. La voiture repartit bientôt, au milieu de la foule, et rencontra sur sa route, comme toute la matinée, de longues files de curieux, accourus des communes voisines et rangés des deux côtés du chemin. Un détachement de quarante hommes d'infanterie, parti pour assister à cette exécution et qui avait traversé le pays, la veille, avait suffisamment indiqué qu'il allait être suivi des condamnés. 

    Avant de partir de la prison, les menottes avaient été mises aux condamnés; M. de Garaby obtenu que le femme Le Bras en fut exemptée, répondant en quelque sorte de cette malheureuse, à la vue de la résignation et de la soumission qu'elle montrait. Arrivés à Saint-Jacques, midi sonnant, M. de Garaby récita avec eux l'Angélus. A la descente du Temple, la femme, ayant manifesté le désir de marcher, descendit, bien qu'elle ne fut point menottée, le confesseur commun marcha à ses côtés pendant près d'un quart de lieu.

    Une douloureuse rencontre eut lieu après avoir passé Lanvollon: la charrette contenant les condamnés atteignit et dépassa bientôt une voiture pesamment chargée qui contenait l'appareil du supplice. Qu'on juge des affreuses pensées qui durent agiter alors l'esprit des deux patients! Cependant il paraissait tellement absorbé par les idées de Dieu, de repentir, de pardon que rien ne se manifesta sur leur visage.

    On arriva à Pontrieux d'assez bonne heure, toujours au milieu d'une foule considérable. Après y avoir pris quelques repos, on se remit en route vers Tréguier, et, chemin faisant, on eut encore à dépasser la fatale voiture portant l'échafaud...

    De La Roche-Derrien à Tréguier, on rencontra encore un grand nombre de curieux, qui s'accroissait d'autant plus qu'on approchait davantage de la ville, où l'on arriva vers cinq heures, au milieu d'une foule compacte. Les condamnés furent déposés à la gendarmerie, et y reçurent tous le soins que réclamait leur position. Peu de temps après, un homme et une femme se présentèrent: c'était le mari et la sœur de la femme Le Bras. Ils saisirent avec effusion les mains de l'ecclésiastique et les inondèrent de leur larmes, ils l'accablèrent de remerciements. La femme de Geffroy, qu'il avait épousé depuis peu, ne vint pas assister à ce douloureux spectacle et adresser ses adieux à son mari. Ses parents avaient la sage précaution de l'envoyer chez son père, qui habite Perros.

    Cependant les condamnés semblaient encore, la veille, ignorer l'heure de leur supplice. Geffroy demanda à M.de Garaby, quand ils iraient sur la place? Celui-ci répondit: demain, à onze heure; mais comme vous êtes résignés à mourir, le moment importe peu... Les secours de la religion avaient tellement opéré en eux, leur résignation était si complète, que la mort ne leur semblait plus un châtiment, mais la fin de leur longue agonie; et l'esprit de Geffroy paraissait tellement habitué à cette idée, que si, dans ce moment, on lui eut proposé de vivre, on ne sait s'il l'eut accepté.

    La femme Le Bras refusait obstinément de prendre des aliments. Quoique d'une intelligence beaucoup supérieur à celle de Geffroy, sa simplicité apparaît dans cette circonstance. Interrogée pour quel motif elle refusait de manger, elle dit qu'elle ne croyait pas qu'on pût paraître devant Dieu autrement qu'à jeun. Elle finit cependant, à la sollicitation du prêtre, par prendre quelque chose.

    Dans la route, pendant ce trajet qui avait été si douloureux pour eux et le prêtre, Jean Geffroy et Marie-Louise Le Bras qui s'étaient aimés, ne s'adressèrent pas une seule parole. Cependant, ils ne cachaient pas à une personne tierce, l'intérêt qu'ils semblaient mutuellement prendre à leur salut.

    Il est difficile d'assigner au juste le chiffre des nombreuses populations des communes voisines qui se trouvaient mercredi à Tréguier. On en aura une idée, quand on saura que, depuis un mois, il y affluait chaque jour de marché, quatre à cinq mille personnes. On assure même que des aubergistes de cette localité voyageaient dans les campagnes environnantes et annonçaient, chaque fois, que l'exécution devait avoir lieu le mercredi suivant.

    Cette fois, l'arrivée du détachement d'infanterie, des brigades de gendarmerie, et de l'appareil du supplice, avait amené sur les lieux une foule tellement considérable, que, de mémoire d'homme, jamais la ville n'avait été si remplie d'habitants des communes voisines. La place où était dressé l'échafaud, entre la pompe et la promenade, était ouverte d'une foule condensée; les rues adjacentes l'étaient aussi, et les fenêtres des habitants étaient garnies de curieux.

    Il fallut traverser lentement cette foule pour sortir du lieu de dépôt des condamnés. Après s'être laissé couper une partie du haut de la chemise, Marie-Louise Le Bras monta avec le prêtre dans une voiture découverte par ordre (la voiture couverte, prise la veille à Lanvollon, ayant été renvoyée), et s'avança d'un air calme, les mains liées derrière le dos, assise près de son confesseur, et couverte de son manteau.

    L'échafaud était protégé contre l'invasion de la foule par les gendarmes et les fantassins. Trois exécuteurs des Hautes-œuvres... attendaient sur l'échafaud, au pied duquel la voiture s'arrêta. Le prêtre y monta le premier, tenant à la main un crucifix, que l'infortunée couvrit de ses pleurs, jusqu'au dernier moment...

    La voiture retourna aussitôt pour recevoir Geffroy. Par égard dû à son sexe, Marie-Louise Le Bras avait la première cessé de souffrir. Il fallut près d'une demi-heure pour enlever les fers à Geffroy: il s'avança ensuite vers le lieu fatal, assis aussi sur la charrette, le confesseur à ses côtés. Il portait un large chapeau qui lui ombrageait la figure, suivit aussi avec calme le prêtre sur l'échafaud et l'y embrassa avec effusion pour la dernière fois, répétant jusqu'au dernier instant: Pardon, ma doue, pardon, madoue!

    La justice humaine satisfaite, le prêtre s'achemina en fendant la foule, vers la cathédrale, pour y déposer son rochet. Quel fut son étonnement, lorsqu'en passant devant l'autel, il vit qu'il était suivi de nombreux fidèles. Saisissant l'à-propos de la circonstance, il se retourna et dit à haute voix: Nous allons réciter un De profundis pour le repos des deux malheureuses victimes que nous venons d'assister à leurs derniers moments". Les fidèles s'unirent avec empressement à cette pieuse prière; mais bientôt  la foule s'accrut tellement dans le temple, qu'il en fut rempli. Le prêtre profitant encore de l'occasion, récita les mêmes paroles qui furent répétées avec ferveur par toute l'assistance à genoux; mais cette fois, il ne put maîtriser plus longtemps son émotion, et d'abondantes larmes répandues par la foule, vinrent s'unir aux siennes sur le sort des deux infortunés. Les sanglots éclataient de toutes parts".

             

    Yahoo!

    Tags Tags : , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :